Le syndrome du survivant

 

Le syndrome des survivants d’avortement a été découvert il y a quelques années aux États-Unis par les psychiatres Philip G. Ney et Marie A. Peeters, et fait l’objet actuellement de recherches poussées. Si son existence est d’ores et déjà scientifiquement établie de part la richesse des témoignages récoltés et des travaux déjà effectués, on ne dispose pas encore de chiffres statistiques qui montrent son ampleur en France ou dans les autres pays où l’avortement est légalisé.

Seule, l’observation de mouvements récents de survivants en France permet de mesurer l’étendue des dégâts de l’avortement sur les jeunes générations.

Les différents types de survivants

Un survivant est un rescapé de la terrible loterie qui s’exerce depuis plusieurs années sur les enfants futurs nés. Le docteur Marie Peeters a répertorié 10 typologies de survivants, qui peuvent se classer en quatre grandes catégories

Les enfants qui n’auraient pas dû naître

 

Leurs parents auraient voulu avorter mais ne l’ont pas pu, soit parce qu’ils ont trop attendu pour prendre leur décision, soit qu’un événement extérieur les en a empêchés. Ces enfants peuvent aussi être des enfants handicapés, qui auraient été avortés si les parents avaient connu à temps leur handicap. Enfin, ces enfants peuvent avoir échappé à un avortement qui a échoué.

 

Si les enfants apprennent qu’ils n’auraient pas dû naître, soit explicitement de la part des parents, soit implicitement, par les comportements et l’ambivalence que les parents conservent à leur égard, ils ont eux-mêmes des sentiments très ambivalents et conflictuels à l’égard de leurs parents. Ils se sentent coupables d’exister, et peuvent même avoir l’impression que leurs parents veulent toujours les faire mourir.

 

Les enfants qui sont nés par hasard

La vie de ces enfants a été discutée, remise en cause, pesée, pendant la grossesse. Les parents ont hésité, pour des raisons qui peuvent être diverses (pressions familiales, conjoncture familiale fragile, absence ou pression du père, difficultés financières, sexe de l’enfant, etc.), et ont finalement choisi de garder l’enfant. Celui-ci est donc in fine  » désiré « , mais est conscient que sa vie n’a tenu qu’à un fil.

 

A leur sujet, le Dr Peeters écrit :  » il paraît de plus en plus évident que les enfants à naître sont affectés par les changements hormonaux consécutifs aux conflits psychologiques de la mère. (…) Même en faisant abstraction de ces considérations scientifiques, il est certain que l’on fait comprendre à l’enfant, parfois de manière subtile, quels furent les  » pour et les contre  » dont avait dépendu sa survie  » ( in  » Abortion Survivors « , Philip G. Ney, MD, FRCP(C), RPsych, & Marie A. Peeters, MD).

 

Parfois aussi, des réactions de parents du type  » si j’avais su, je ne t’aurais pas gardé  » provoquent l’apparition du syndrome chez l’enfant, même si au moment de la grossesse, les parents n’ont pas envisagé une interruption de grossesse. L’enfant a alors l’impression de n’être pas digne d’être en vie, et ressent de terribles obligations envers ses parents.

Les enfants "remplaçants" d’un frère ou d’une sœur avortés

Ces enfants sont nés après l’avortement d’un frère ou d’une sœur, ou éventuellement d’un jumeau (c’est le cas de la réduction embryonnaire). Ils sont en quelque sorte des  » remplaçants « . Ils ont généralement été désirés, mais se demandent pourquoi  » eux et pas leur frère  » sont restés en vie.

Ce phénomène touche aussi les enfants dont les parents ont avorté d’un petit frère ou d’une petite sœur. Ils peuvent avoir le sentiment supplémentaire de n’avoir pas été désirés, et rentrent ainsi dans l’une ou l’autre des précédentes catégories décrites.

Dans une étude portant sur l’impact sur les familles des IVG pour raisons génétiques, il apparaît que même de très jeunes enfants, ou ceux qu’on a écartés des faits, réagissent à la détresse de leurs parents et à l’absence de la mère (hospitalisée pour l’avortement) et de l’enfant (dont ils se doutaient de l’existence) (Furlong, R.M., Black, R.B. (1984) :  » Pregnancy Termination For Genetic Indications : the Impact on Families  » Soc Work Health Care, 10(1) : 17-34)

Le phénomène est bien plus fort lorsqu’il s’agit d’un jumeau avorté. Le survivant a des ressentiments profonds. On sait à présent que les jumeaux communiquent beaucoup dans leur vie intra-utérine, et ressentent très fortement la mort de l’autre, a fortiori lorsque celle-ci est violente.

Les survivants statistiques

saignement-ivg-douleurCe sont des enfants nés dans un pays ou une région dans laquelle l’avortement est courant, si bien qu’ils avaient statistiquement une probabilité importante de ne pas voir le jour. C’est typiquement le cas des générations nées après le vote de la loi sur l’avortement. Dans les pays de l’Est comme la Roumanie ou la Russie, où deux conceptions sur trois se terminent par un avortement, ce phénomène est très important. Mais il l’est aussi en France où un embryon sur cinq est avorté. Ce sont ainsi des millions de jeunes qui vivent mal  » l’absurdité  » de leur naissance et réalisent qu’ils sont  » issus d’une génération amputée d’un cinquième de ses membres et qui se demandent par quel hasard ils sont en vie » ( il Libération, 15 juillet 1998, page 8-9, enquête de Blandine Grosjean). Ainsi, les conflits avec la génération de leurs parents sont importants, et le fossé entre les générations se creuse. Il se développe des sentiments d’exclusion, l’impression de n’être vivant que par le hasard et la chance, et donc de n’avoir aucune utilité sur terre ou dans la société.

Ce phénomène touche aussi les personnes handicapées de naissance, qui, avec les nouvelles techniques de dépistage prénatal, avaient une probabilité très importante de ne jamais voir le jour.

Ce quatrième type de survivant résulte d’un processus que l’on peut qualifier de  » macroscopique « , dans le sens où la cellule familiale n’est pas a priori la source du phénomène, mais plutôt la région, l’Etat, disons la société. Par opposition, les trois autres types de survivants puisent leur origine dans la cellule familiale, et peuvent être qualifiés de  » microscopiques « , ce qui ne veut pas dire que leurs conséquences sont moins importantes.

Enfin, nous ne pouvons pas ne pas citer une catégorie de survivants qui ne survivent qu’un court instant : il s’agit des bébés avortés vivants, qui sont achevés par certains membres du personnel hospitalier quelques minutes après. Ces cas existent et sont très fréquents en Chine par exemple, mais aussi en France dans ce qu’on appelle les ITG (Interruptions Thérapeutiques de Grossesse).

Les différents syndromes et conflits des survivants

Les signes qui sont décrits ici sont communs dans une certaine mesure à ceux que connaissent les survivants de catastrophes naturelles, de guerres, de tentatives de meurtre, ou encore d’accidents. Cependant, le cas des survivants d’avortement est spécifique pour deux raisons. Premièrement, c’est le lien le plus fort qui existe, celui entre parents et enfants, qui est affecté. Deuxièmement, les troubles peuvent apparaître sans que l’enfant ne puisse connaître explicitement la raison de son traumatisme, si celui-ci lui a été caché par les parents. D’ailleurs, les parents eux-mêmes ne connaissent généralement pas les implications profondes sur leur enfant de leur hésitation à avorter, ou de leur avortement. Ils ignorent aussi les origines macroscopiques de certains de ces signes (cf. les survivants " statistiques ").
Marie Peeters et Philip Ney distinguent 7 signes différents que l’on retrouve chez les survivants d’avortement.

Culpabilité existentielle

C’est l’impression de ne pas mériter de vivre. Les personnes souffrant de ce trouble ont alors besoin de justifier leur existence, de se justifier elles-mêmes en permanence, de faire plaisir aux autres. Elles ont parfois des tendances suicidaires.

Angoisse existentielle

Ou encore, l’impression de n’être qu’en sursis. Ce trouble est typique des enfants dont la mère avait prévu un avortement, ou ceux dont l’avortement a échoué. Pour continuer d’exister, ils ont besoin de se sentir en permanence  » désirés « , et feront tout pour faire plaisir aux autres, attirer l’attention, susciter l’intérêt. Il est facile de leur faire honte ou peur. Souvent, lassés, ils deviennent rebelles, détruisant cadeaux et autres preuves d’affection que leur donnent leurs parents pour éviter que ceux-ci puissent  » acheter leur affection « .

 

 

 

Attachement anxieux

C’est une ambivalence affective avec les parents : l’enfant a le désir d’être proche d’eux, mais en même temps le sentiment que ce n’est pas bon. Cela provient de trois sources :

– premièrement, l’attitude des parents. Les femmes ayant connu un avortement ont du mal à établir un lien avec leurs enfants, et compensent cela par des efforts supplémentaires, ou des cadeaux pour mieux se garantir l’affection de leur enfant;

– deuxièmement, les  » soupçons  » (implicites, ou explicites) de l’enfant envers la sincérité de l’affection de ses parents ;

– troisièmement, un besoin accru pour l’enfant de tester l’affection de ses parents.

Connivence pseudo-secrète

C’est le conflit entre le désir conscient ou non de connaître la vérité sur l’avortement (supposé) d’un frère et d’une sœur, et l’angoisse de la chercher. Les causes sont doubles : premièrement, l’enfant préfère éviter de découvrir une vérité qu’il ne pourrait supporter, et deuxièmement, il a peur de briser l’équilibre familial s’il demande la vérité à ses parents.

Afin de ne pas risquer de découvrir l’insupportable, ces enfants restent discrets, réservés, craintifs, et étouffent le désir de se connaître eux-mêmes. Ils reportent alors leur curiosité vers l’extérieur, en particulier vers les médias (télévision, romans, magazines, radio, etc.) qui leur procurent la confiance qu’ils n’ont pas envers le foyer familial. Enfin, ils recherchent constamment à travers ces médias une excitation qui ne laisse pas de place à leur inquiétude.

Méfiance

 

C’est un manque de confiance envers les autres, en particulier :

– les pères, parce qu’ils auraient dû (mieux) assumer leur rôle protecteur, ou parce qu’ils leur apparaissent lâches et profiteurs de l’avortement ;

– les femmes, considérées comme  » égoïstes  » et  » craintives  » ;

– l’autorité en général (la politique, la justice, etc.), ressentie comme complice passive ou active ;

Ces enfants sont alors souvent égoïstes et narcissiques et deviennent, adultes, instables dans leurs relations affectives et amoureuses. Ils sont en permanence en recherche de quelqu’un en qui ils pourraient vraiment avoir confiance.

Manque de confiance en soi

Le manque de confiance en soi est lié, dans le cas des survivants, au sentiment que les parents n’ont pas confiance d’une part en eux-mêmes, et d’autre part dans leur enfant, à qui ils disent souvent de prendre soin de lui, de faire attention, etc.

Les personnes souffrant de ce syndrome ont du mal à être spontanés et naturels, ils sont facilement excessifs (dans leur alimentation, dans l’alcool, le sommeil, les fêtes, etc.), peuvent souffrir même d’anorexie ou de boulimie. Ils se croient incapables d’être parents, et se réfugient vers leurs propres plaisirs et leurs biens matériels.

Culpabilité ontologique

Sentant qu’ils ne devraient pas être en vie, ces survivants perçoivent l’avenir avec beaucoup d’incertitudes, et sont incapables de s’impliquer durablement dans leurs études, leur travail, ou dans un projet. Ils trouvent toujours de bonnes excuses pour expliquer leurs échecs. Ils semblent presque espérer une catastrophe qui leur permettrait de faire enfin quelque chose qui ait du sens. Dans cette attente, ils préfèrent s’amuser et vivre au jour le jour. Enfin, une fois adultes, ils tentent inconsciemment de reproduire chez leurs enfants les rêves qu’ils n’ont pas été capables de réaliser.

En plus de tous ces troubles, Marie Peeters et Philip Ney ajoutent que les survivants ont tendance à avoir une image d’eux mêmes qui est pauvre ou peu développée. Pour régler leurs difficultés, ils tombent facilement dans l’usage de la drogue. Inconsciemment, ils ont facilement tendance à culpabiliser les femmes ayant avorté, accentuant ainsi leur syndrome post-avortement. Enfin, ils ont peu confiance dans l’avenir, l’amour, les autres.